Des maux du mâle : la fin du masculin ?


Au plein cœur de l’été, le temps s’écoule paresseusement.. des plages aux terrasses des villes, tous les magazines vous le répètent en boucle, c’est l’heure des peaux dénudés, des corps offerts à la chaleur, et aux regards. L’heure de la sieste sage ou accompagnée, l’heure des soirées langoureuses et de la drague tous azimuts. Le « grand chasseur mâle » a sorti sa tenue estivale et arpente les lieux de villégiature pour le plus grand plaisir des « femelles » éclatantes dans leurs bronzages et leurs mini tenues des grands soirs. Chacun joue sa partition dans ce bon vieux jeu du rapprochement, de la séduction pré formatée, du plaisir téléguidé et convenu qui – ils l’ont même dit aux informations nationales !! – est un élément essentiel de la vacance de l’être. Rassurant de voir et d’entendre que certaines choses ne sont pas menacées de disparition sur cette terre : dragueurs et dragués s’entendent encore pour jouer avec persistance et style et sans faillir le tango des périodes estivales.

Et pourtant sous cette apparente répétition immuable d’un jeu intemporel, les lignes bougent de façon plus ou moins visible. Le « grand mâle » conquérant et entreprenant pourrait devenir une espèce en voie de disparition… si si ils le disent même dans les journaux !!
Ce qui est certain c’est qu’en 2013 des hommes s’interrogent, s’inquiètent, explorent et tentent de remettre en question cette évidence si enracinée de la solidité de la sexualité masculine. Qui reposait tranquillement jusque là sur les supposés d’une nature masculine instinctuelle simple et mécanique. « Ils ont ça dans le sang depuis la naissance, à cause des hormones et faut s’y faire… »


Et si l’intense activité libidinale de cet été leur en laisse le temps, les hommes pourront trouver des éclairages multiples sur une sexualité qui se montre aujourd’hui complexe, multiple, et ….fragile. Et ce sont des hommes qui le disent !!!

Même si les bons vieux poncifs ont encore de beaux jours devant eux, comme le confirment nos spécialistes : Jacques ANDRE, professeur en psychopathologie, l’explique dans son dernier ouvrage (1), « malgré les évolutions de la société et notamment les bouleversements des relations entre hommes et femmes, l’inconscient, lui, n’a pas bougé. L’inconscient fait de la résistance, il est politiquement incorrect. » Celui là continue de promouvoir et faire vivre le distinguo des genres, quitte à créer des conflits chez l’homme moderne qui tente la réconciliation avec sa part féminine. Difficile conquête que celle de l’épanouissement de son identité sexuée.
Claude CREPAULT (2), sexoanalyste réputé le rappelle à son tour : « Hélas, je dirais qu’aujourd’hui comme hier on a tendance à réduire le désir sexuel de l’homme à un simple mouvement pulsionnel, à un état de tension qui doit faire appel à une décharge orgastique (modèle hydraulique). On sous-estime la complexité de la sexualité masculine. »
75 % des femmes pensent encore que les hommes, par nature, ont plus de besoins sexuels qu’elles, contre 60 % des hommes ! Pour la socio-démographe Nathalie Bajos, l’inégalité touche tout autant la sphère de la sexualité que les autres sphères sociales. Le désir masculin serait donc encore totalement prisonnier des représentations sociales. (4)


Mais Claude Crépault n’hésite pas à nous / leur montrer à ces hommes qui s’interrogent, une piste à suivre pour le moins dérangeante ! : « L’homme rentre dans le territoire d’Éros comme dans un refuge. Assez souvent, il se sert de la sexualité pour se réparer, lorsqu’il doute de sa masculinité notamment. C’est en réalité sa vulnérabilité qui intensifie sa libido. »
Piste qui finalement trouve tout à fait sa place dans l’environnement intime masculin actuel car oui … vulnérable il l’est cet homme moderne et de plus en plus. Revenons à Jacques ANDRE : « Avant la libération sexuelle, quand un homme séduisait une femme, souvent inexpérimentée, il ne subissait pas de pression quant à ses performances. Aujourd’hui, l’homme doit «assurer», car la femme a des attentes légitimes, vu les expériences qu’elle a déjà accumulées. » et pire encore : « Pour faire simple, les hommes sont perdus car ils ne peuvent plus distinguer la femme-maman qu’ils aiment et respectent, de la femme-putain qu’ils désirent, mais condamnent. »Et grâce à un autre sexologue bien connu, Sylvain MIMOUN (3), les futur(e)s dragué(e)s pourront rendre le défi plus acceptable en se rappelant à point nommé que « physiologiquement et psychiquement, un homme a toujours besoin d’être rassuré d’abord et stimulé ensuite. Il faut qu’il se sente en confiance pour avoir une érection » Mais mauvaise nouvelle sur ce thème là …le quotidien suisse « le Matin »(5) rapporte d’après une étude britannique, que la taille des sexes en érection a perdu 2,45 cm en 10 ans, alors que nos bras et nos jambes s’allongent ; enquête réalisée sur un échantillon de 20 000 hommes.
Finalement .. peut être qu’ il serait prudent de s’informer avant de partir benoîtement draguer .. ça devient ..un sport à haut risque, qui réclame quelques notions préalables…Peut être sommes – nous en train de vivre les derniers frémissements de ce jeu de la séduction masculin/féminin dans sa version traditionnelle. Quand l’automne ramènera la « rentrée » et le retour au « réel » que le terme sous entend, nous allons avoir à nous pencher un peu plus encore sur cette vision nouvelle qui pourrait progressivement remettre en cause tout ce que nous connaissons et analysons aujourd’hui de ces comportements sexuels genrés : la « théorie du genre » pour penser plus loin les identités sexuelles.
Laissons le mot de la fin au spécialiste parce que même si inconfortable, se questionner est toujours une avancée pour l’humain : « Ce que la sexualité masculine a perdu en triomphe […] elle l’a gagné en incertitude et en questions. » (1)

Références


(1) Sexualité masculine – Jacques ANDRE , PUF (Que sais je ?), 2013
(2) Sexualité masculine – Claude CREPAULT, Odile Jacob, 2013
(3) La masturbation rend sourd : 300 idées reçues sur le sexe – Sylvain MIMOUN, Ed First, 2013
(4) Mes questions sur le désir masculin – documentaire télévisé de Serge MOATI, France 5, 2013
(5) Quotidien LE MATIN, 6 juin 2013

Article paru dans Sexualités Humaines n°18 juillet/août/septembre 2013

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